Pour le 21/11: Débat sur la politique coloniale de la France à la Chambre des députés, séance du 28 juillet 1885 : deux interventions contradictoires.

Publié le par histoireMarcBloch

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I. Intervention de Jules FERRY 

On peut rattacher le système d'expansion coloniale à trois ordres d'idées : à des idées économiques, à des idées de civilisation, à des idées d'ordre politique et patriotique (...)

Ce qui manque à notre grande industrie, que les traités de 1860 ont irrévocablement dirigée dans la voie de l'exportation, ce qui lui manque de plus en plus, ce sont les débouchés (...) La concurrence, la loi de l'offre et de la demande, la liberté des échanges, l'influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s'étend jusqu'aux extrémités du monde. C'est là un problème extrêmement grave. Il est si grave (...) que les gens les moins avisés sont condamnés déjà à entrevoir, à prévoir et à se pourvoir pour l'époque où ce grand marché de l'Amérique du Sud, qui nous appartenait de temps en quelque sorte immémorial, nous sera disputé et peut-être enlevé par les produits de l'Amérique du Nord. Il n'y a rien de plus sérieux, il n'y a pas de problème social plus grave ; or, ce problème est intimement lié à la politique coloniale (...)

Il y a un second point que je dois aborder (...) c'est le côté humanitaire et civilisateur de la question (...) Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu'il y a pour elles un droit parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures (...) [rumeurs sur plusieurs bancs d’extrême-gauche, le discours est bruyamment interrompu]. Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation (...) 

Est-ce que les gouvernements qui ont hérité de cette situation malheureuse se condamneront à ne plus avoir aucune politique européenne ? Est-ce qu'ils laisseront tout faire autour d'eux, est-ce qu’ils laisseront les choses aller, est-ce qu'ils laisseront d'autres que nous s'établir en Tunisie, d'autres que nous faire la police à l'embouchure du fleuve rouge ? (...) Est-ce qu'ils laisseront d'autres se disputer les régions de l'Afrique équatoriale ? Laisseront-ils aussi se régler par d'autres les affaires égyptiennes qui, par tant de côtés, sont vraiment des affaires françaises ?

 (...) Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d'expansion coloniale, celle qui nous a fait aller, sous l'Empire, à Saïgon, en Cochinchine, celle qui nous a conduits en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar, je dis que cette politique d'expansion coloniale s'est inspirée d'une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention : à savoir qu'une marine comme la nôtre ne peut se passer, sur la surface des mers, d'abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement (...) [« Très bien ! Très bien ! », nombreux applaudissements à gauche et au centre].

(...) En regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion vers l'Afrique ou l'Orient, vivre de cette sorte pour une grande nation, croyez-le bien, c'est abdiquer (...).[« Très bien ! », au centre].

II. Intervention de VERNHES, député radical de l'Hérault 

Vous invoquez, Monsieur Jules Ferry, la nécessité de faire de nouvelles conquêtes coloniales, afin d'occuper, d'utiliser notre marine quelque part. Est-ce que, avant le Tonkin, nous n'avions pas déjà la Martinique, la Guadeloupe, les Indes ? Est-ce que notre marine ne pouvait pas s'exercer suffisamment dans ces conditions ?

Qu'avez-vous fait en allant au Tonkin ? Oui, j'oserais vous le dire : ce n'est pas un acte de politique républicaine (...) Depuis 1870, la plupart des ministères qui se sont succédés ont fait comme Napoléon III, qui craignant surtout les revendications de la liberté intérieure, allait jeter le trop-plein des idées au Mexique et dans d'autres expéditions. Ce souverain cherchait ainsi, au moyen de la guerre, à opérer une diversion dans les idées et les esprits. Eh bien ! Vous êtes de connivence, vous pratiquez le même système !

C'est ce que je disais à Monsieur Brisson, actuellement président du Conseil : la politique que vous faîtes n’est pas en Chine, elle est à Berlin, elle est à Londres. Est-ce vrai Monsieur Brisson ?

Vous riiez, messieurs, quand nous avons perdu l'Alsace et la Lorraine ? Vous avec perdu votre prépondérance européenne (...) vous vous êtes entendus avec l'Allemagne (...) 

Je puis me tromper, mais je crois que le grand axiome : "diviser pour régner", qui a pour but d'éloigner les peuples qui sont disposés à revendiquer non pas seulement leur liberté, mais aussi ce qui est le fond de leurs entrailles, par exemple la perte de l'Alsace et de la Lorraine (...) je crois, dis-je, que cet axiome a été mis en pratique plus que jamais à l'égard de la France (...)

De même que Napoléon III cherchait une diversion aux idées de liberté par ses expéditions lointaines, de même la politique suivie par nos politiciens, qui se sont crus républicains et qui, pour nous, ne l'ont jamais étés, cherchent également une diversion dans l'expansion coloniale, afin de faire oublier au peuple français qu'il a été vaincu et qu'il doit, non point prendre l'offensive, mais rester sur une défensive absolument logique, correcte et rationnelle (...)

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